GONE GIRL de David FINCHER – critique

Gone Girl, écrit par Gillian Flynn, d’après son propre roman. Réalisé par David Fincher. Avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Kim Dickens, Carrie Coon, Tyler Perry. USA – 149mn. Sortie le 08 octobre 2014.

Une partie de l’intrigue et des rebondissements y étant dévoilés, il est préférable d’avoir vu le film avant de lire cette critique.

A l’occasion de son cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne signale la disparition de sa femme, Amy. Sous la pression de la police et l’affolement des médias, l’image du couple modèle commence à s’effriter. Très vite, les mensonges de Nick et son étrange comportement amènent tout le monde à se poser la même question : a-t-il tué sa femme ?

Tout d’abord, l’image : une chevelure blonde, une main qui la caresse lentement pendant quelques instants. Et puis la jeune femme se retourne enfin et nous fait découvrir, nous offre son visage. C’est celui d’Amy et il est magnifique : d’une beauté glacée, stupéfiante et à laquelle on succombe en un instant.

Et que la caméra, en légère plongée, nous donne envie de défendre et de chérir coûte que coûte.

Et puis, il y a le son : la voix de Nick, le mari qui se demande ce qui se cache derrière ce si joli visage que n’aurait pas renié Hitchcock. Ou plutôt qui aimerait bien ouvrir ce crâne pour en observer les rouages et comprendre ce qui s’y passe. Une formulation très hasardeuse (on y a tous pensé mais de là à le dire ainsi…) qui renforce encore plus la position empathique du spectateur en faveur de la jeune femme et qui pose immédiatement un regard suspicieux sur l’auteur de ces paroles.

On ne le sait pas encore à ce moment-là mais tout Gone Girl tient dans ce plan inaugural : quelques secondes seulement pour mettre en place ce qui sera le moteur du récit de Gillian Flynn mis en image par David Fincher, les apparences. Amy est une poupée fragile qu’il faut protéger du vilain Nick qui pourrait lui faire du mal.

Lorsque ce même plan reviendra à la fin du film, son sens en sera tout autre ou du moins sera enrichi d’une vérité d’une absolue noirceur avec laquelle le génial réalisateur de The Social Network aura pris un extrême et malin plaisir à jouer.

Et nous aussi.

David Fincher n’en est pas à son coup d’essai en ce qui concerne le thriller : Se7enPanic RoomZodiacMillenium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes sont autant d’exemple de ce que le genre a de mieux à offrir et force est de constater que le best-seller de Gillian Flynn est une nouvelle opportunité pour le réalisateur du cultissime Fight Club de faire la preuve de son immense talent.

De prime abord, Gone Girl est un film simple : comme je le disais en préambule, Fincher nous a pris la main dès les premiers instants en nous faisant les témoins d’une possible menace à l’encontre d’une ravissante et innocente jeune femme et, lorsque sa disparition est actée, notre regard vis-à-vis de son mari n’est évidemment pas vierge d’à-priori. Si viennent s’y ajouter de surcroît un comportement inapproprié (le sourire de Nick devant l’avis de recherche de sa femme, le selfie, l’absence d’émotions visibles…) et un appareil médiatique qui se repaît avec délice de ce drame simple (une victime/un tueur) au point d’en perdre toute objectivité, inutile de dire que Nick aura beau tout faire pour taire cette image qu’il dégage, le mal est déjà fait… Les apparences sont contre lui.

Des « apparences » appuyées par la mise en scène sobre, élégante et quasiment en retrait de Fincher (le générique de début est à ce propos éloquent avec son enchaînement rapide de plans quasi-illustratifs) et que l’on pourrait qualifier de volontairement factuelle. On se retrouve en effet loin des expérimentations formelles d’un Panic Room ou d’un Fight Club : aidé par la photographie somptueuse de Jeff Cronenweth (toute en nuances de gris et de bleu), le metteur en scène de The Social Network nous invite au compte-rendu clinique et froid d’un fait divers horrible et à en être les observateurs privilégiés.

De même, là où Gone Girl fait exploser tout son génie retors, c’est via sa narration qui apparaît comme classique elle aussi mais qui se révèle d’une impressionnante maîtrise. En effet, en confrontant le récit en voix-off d’Amy (le passé), qui vient faire craquer les contours d’un couple qui se donnait l’apparence d’être parfait en contredisant les propos de Nick et en jetant un voile de suspicion encore plus épais sur lui, au récit de l’enquête (le présent) sur lequel le spectateur a été inconsciemment amené à poser ses a-priori via le plan d’ouverture, David Fincher et Gillian Flynn utilisent un outil narratif qui n’a foncièrement rien d’inédit et qui pourrait amener à croire que Gone Girl n’est qu’un thriller certes très honnêtement ficelé, filmé avec élégance mais bien loin de ce qu’on pouvait espérer de celui qui nous a tous soufflés avec son Se7en il y a de cela presque 20 ans.

Pourtant, par le biais d’un renversement narratif proprement jubilatoire, les deux auteurs nous font reconsidérer leur métrage à l’aune de ce qui en faisait pourtant le thème central : les apparences. Celles d’un récit que l’on pense connaître, dont on croyait saisir tous les rouages et qui pourtant nous a berné pendant plus d’une heure : Fincher et Flynn font dans le ludique jouissif, dans la manipulation géniale de l’outil « narration » et… c’est tout simplement une claque magistrale !

Parce qu’Amy est en vie.

Parce qu’elle a fomenté une vengeance incroyable à l’encontre de Nick en faisant croire, par un savant jeu de piste (intra et extradiégétique), que ce dernier s’est débarrassé d’elle.

Parce qu’elle a berné tout le monde avec un sang-froid inimaginable : sa famille, ses amis, son mari, la police. Mais surtout nous. Et qu’est-ce que c’est bon de se faire avoir en beauté comme ça!

Dès que ce deuxième acte se lance, la mise en scène de David Fincher se met au diapason de l’esprit diaboliquement pervers qu’il est en train de suivre et nous livre une petite leçon de réalisation à travers l’illustration du piège qu’Amy (nous) a tendu à son mari : montage d’une fluidité affolante, gestion parfaite de multiples strates temporelles, musique envoûtante de Trent Reznor et Atticus Ross (déjà à l’oeuvre sur The Social Network et Millenium – Les hommes qui n’aimaient pas les femmes) et interprétation magistrale de Rosamund Pike…

Et si cette seconde partie perpétue avec classe l’héritage d’Alfred Hitchcock mis en place dans la première, c’est surtout à un autre réalisateur que l’on pense : Brian De Palma. L’ombre de cet autre géant du cinéma de la manipulation par l’image (PassionPulsionsBlow Out) plane sur ce Gone Girl jusqu’à une scène de meurtre graphiquement extrême, qui mêle avec horreur (et une certaine fascination, soyons honnêtes!) le sexe et le sang, et que n’aurait certainement pas renié le metteur en scène de Body Double!

Ce dixième film de David Fincher est ainsi un thriller de très haute volée qui redéfinit avec un plaisir communicatif le sens du mot « malin » : parce que si la narration nous a bernés en nous faisant prendre pour véridique les propos en voix-off d’Amy, Fincher aussi. Et ce dès ce premier plan qui nous amène à adopter le point de vue d’un prédateur et à se placer du côté de sa potentielle victime, dès ces séquences qui semblent tirées d’une comédie romantique où l’on assiste à la naissance de couple idyllique (séquence magnifique sous le brouillard de sucre) mais qui se délite lentemement sous le poids du quotidien, des problèmes économiques et de l’inquiétude grandissante d’Amy vis-à-vis de l’homme qu’elle aime…

En faisant le jeu d’une mise en scène elle-même astreinte aux apparences, David Fincher emmène Gone Girl très haut dans les sphères du thriller. Saluons à ce propos la bande-annonce qui ne dévoile rien et saluons surtout la promotion qui a su nous mener en bateau en victimisant d’entrée de jeu le personnage d’Amy. Utiliser ainsi les médias pour vendre un film qui se montre sacrément virulent à leur encontre, ça s’appelle tout simplement du grand art.

Thriller brillant traversé de véritables fulgurances, qu’elles soient narratives (la manipulation du récit en tant que tel, de par le scénario et le journal intime d’Amy) ou esthétiques (Fincher se montre, avec Michael Mann, comme l’un des réalisateurs qui maîtrise le mieux la HD), Gone Girl est aussi et surtout la plongée passionnante dans la psychée d’une sociopathe de première catégorie : victime elle aussi d’un récit mensonger (celui de ses parents qui ont fait d’elle l’héroïne d’une série de livres pour enfants – Amazing Amy), la jeune femme est devenue la reine glacée (et glaçante) de la manipulation, qui fait de l’apparence et de l’image renvoyée un mode de vie qu’il faut à tout prix protéger…

Et pour incarner un personnage aussi pervers, névrosé et diabolique (on ne va pas faire dans le dictionnaire des synonymes mais la tentation est forte…), il fallait une actrice d’une trempe et d’un charisme de haut niveau et, comme je l’ai déjà dit plein de fois, Rosamund Pike est juste parfaite (si je pouvais voter, je lui donnerai l’Oscar sans hésiter). Elle passe de femme fantasmée à monstre de perversion avec une habileté confondante et son interaction avec Ben Affleck, lui aussi excellent dans son rôle de belle gueule naïve et dépassée, donne lieu à de très très grands échanges.  

Il ne reste que deux mois avant la fin de l’année et Gone Girl trône pour l’instant sur la première place de mon top cinématographique : pour sa mise en scène élégante et millimétrée, pour son scénario retors, pour son humour noir (très noir), pour ses acteurs impériaux (mention spéciale à Carrie Coon, parfaite dans le rôle de la soeur de Nick),  pour sa critique acérée des médias et enfin pour sa vision du mariage effroyable de cynisme et de noirceur. Gone Girl est le film d’une femme qui mène la danse et qui fera tout pour que rien ne vienne perturber l’ordre établi des apparences : le plan final du film qui voit Rosamund Pike nous fixer est le coup de grâce barré d’un cauchemar qui ne finira pas… Parce qu’Amazing Amy a gagné.

Crédits photos et résumé : 20th Century Fox, Entertainment Weekly, AlloCiné.

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