THE GRANDMASTER de Wong Kar-wai – critique

The Grandmaster, écrit par Wong Kar-Wai, Xu Haofeng et Jingzhi Zou. Réalisé par Wong Kar-Wai. Avec Tony Leung, Zhang Ziyi, Chang Chen. Chine/France – 2012. 122mn. Sortie le 17 avril 2013.   

Chine, 1936. Ip Man, maître légendaire de Wing Chun (un des divers styles de kung-fu) et futur mentor de Bruce Lee, mène une vie prospère à Foshan où il partage son temps entre sa famille et les arts-martiaux. C’est à ce moment que le Grand maître Baosen, à la tête de l’Ordre des Arts Martiaux Chinois, cherche son successeur. Pour sa cérémonie d’adieux, il se rend à Foshan, avec sa fille Gong Er, elle-même maître du style Ba Gua et la seule à connaître la figure mortelle des 64 mains. Lors de cette cérémonie, Ip Man affronte les grand maîtres du Sud et fait alors la connaissance de Gong Er en qui il trouve son égal. Très vite l’admiration laisse place au désir et dévoile une histoire d’amour impossible. Peu de temps après, le Grand maître Baosen est assassiné par l’un de ses disciples, puis, entre 1937 et 1945, l’occupation japonaise plonge le pays dans le chaos. Divisions et complots naissent alors au sein des différentes écoles d’arts martiaux, poussant Ip Man et Gong Er à prendre des décisions qui changeront leur vie à jamais…

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Sensation étrange que celle que l’on ressent à la sortie du dernier Wong Kar-Wai : l’impression d’avoir assisté à une sorte de rêve pelliculé. Un rêve d’où découle une impossibilité à s’accrocher pleinement à un film qui respire la liberté et qui ne saurait se laisser cerner aussi facilement. The Grandmaster semble s’affranchir sans cesse des règles narratives pour livrer aux spectateurs qui accepteront de se laisser embarquer un voyage magnifique, poétique, romantique et incroyablement émouvant.

Il était une fois The Grandmaster. Il était une fois le kung-fu.

Une pluie torrentielle. Une dizaine d’hommes s’attaquent à Ip Man. S’ensuit un combat monumental, puissant et à l’esthétisme foudroyant. C’est ainsi que Wong Kar-Wai nous plonge dans cette arlésienne du cinéma, dans ce film qu’on pensait jamais ne voir atteindre nos écrans : de plein fouet, sans préambule. « Vous m’attendiez?.. » se demande le réalisateur de 2046« Me voilà » semble répondre cette scène visuellement splendide où les chorégraphies de Yuen Woo-Ping trouvent ici un écrin superbe et qui pose d’entrée de jeu l’extrême stylisation qui parcourera The Grandmaster pendant plus de deux heures.

Cinéaste virtuose, à qui l’on a souvent reproché sa mise en scène trop maniérée, Wong Kar-Wai réalise ici ce qui s’apparente sûrement à son plus beau film, dans le sens le plus strict du terme. Véritable succession de tableaux somptueux, The Grandmaster est un pur enchantement pour les yeux : ralentis, effets saccadés, accélérations, composition des cadres magnifique… Avec son dernier film, Wong Kar-Wai utilise tous les outils que le cinéma lui offre et ne s’impose aucune limite. Sa liberté de filmer telle scène sous une lumière crépusculaire ou telle autre sous la neige se propage ainsi dans tout le métrage au point que celui-ci semble vivre par lui-même : d’abord gêné par une narration charcutée et abrupte, on se laisse rapidement séduire par un film qui suit en effet son propre tempo, celui d’un opéra tragique et romantique où l’amour se heurte à la destinée d’un pays et où la fresque sur les arts martiaux côtoie la fresque de l’intime.

En narrant la lente agonie des arts martiaux et des maîtres qui l’enseignent, Wong Kar-Wai livre une analyse passionnante de la Chine et de sa mutation survenue durant la période clé que représentent ces deux décennies que couvre The Grandmaster : revendiqué par le réalisateur de Chungking Express lui-même comme un hommage au mythique Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (au point d’en utiliser une des musiques), le film propose de fait un récit intimiste où la destinée de ses protagonistes permet de tutoyer celle de l’Histoire.

Furieusement romantique, The Grandmaster permet une nouvelle fois à Wong Kar-Wai de mettre en scène une histoire d’amour contrariée et douloureusement tragique. Ballotés par les événements, les personnages campés magnifiquement par Tony Leung et Zhang Ziyi ne vivront jamais l’amour qui les dévore et s’inscrivent ainsi dans la liste des grands héros tragiques malmenés par l’Histoire de leur pays et les codes qu’ils s’imposent. Car, et c’est ici l’une des grandes forces de ce récit éclaté qui n’arrive pas à se caler dans et sur le temps d’une narration classique, c’est l’amour de leur Art, à savoir les arts martiaux et leur héritage, qui empêche les deux héros de se trouver.

Ils y arriveront finalement lors d’une scène sublime (dialogues et photographie à tomber) et si cruelle à la fois…

Avec son tournage de 360 jours étalés sur trois ans, les improvisations constantes (sur le plateau et sur le banc de montage) et le perfectionnisme obsessionnel de son réalisateur, The Grandmaster avait tout pour être un objet filmique improbable, noyé dans sa conception chaotique. Il n’en est finalement rien : malgré ses ellipses parfois brutales et son récit par moment hasardeux, le dernier film de Wong Kar-Wai est empreint d’une telle grâce et d’une telle beauté (sensorielle et sensitive) qu’on ne peut que se laisser emporter dans ce tourbillon visuel et narratif… Plus qu’une fresque sur le kung-fu, ce qu’il est avec ses combats dantesques et variés, The Grandmaster est une fresque humaine riche, foisonnante et imparfaite mais constamment en ébullition, et ce à l’image de ses héros.

The Grandmaster ne se laisse peut-être pas cerner facilement mais en tout cas, il ne s’oublie pas.

Crédits photos : Wild Bunch.

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